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Critique : Salo, ou les 120 journées de Sodome (Pier Paolo Pasolini, 1975)

Synopsis : Hiver 1943, quatre notables Italiens, aidés par leurs hommes de main, font enlever 9 jeunes filles et 9 jeunes garçons, et les font amener dans une immense propriété, dans le but d’en faire les esclaves de leurs fantasmes les plus lubriques; le récit cauchemardesque peut commencer…


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(QUELQUES LEGERS SPOILS).


Je crains, de ne pas m’attaquer au morceau le plus facile de l’histoire du cinéma.

Ce film très controversé est réalisé en 1975 par Pier Paolo Pasolini, le scénario du métrage est librement inspiré d’une des œuvres les plus sombre de Marquis de Sade, qui porte le même titre (il est à noter que Sade a écrit ce manuscrit en 1785, lors d’une longue incarcération à la Bastille et qu’il y dépeint ses fantasmes les plus noirs, ses chimères masturbatoires).


Dès les premières images, le spectateur ne peut échapper à la froideur évidente de la mise en scène, aux longs plans sur les campagnes grises et infertiles, paysages abîmés, témoignages tristes que seuls les pays malmenés par une longue guerre peuvent fournir; En effet, l’histoire se déroule en 1943, dans une petite ville italienne, bordant le lac de Garde, qui fût le théâtre de nombreuses atrocités dues aux dictats fascistes de Mussolini et ses lieutenants; complices criminels du régime national-socialiste: La république libre de Salo. Oui, il s’agit d’une œuvre politiquement courageuse dans le chef de Pasolini, dans une époque (début des années 70), qui vît l’émergence de nouveaux partis fascistes ou d’extrême gauche en Italie.

Les personnages qui vont suivre le spectateur pendant toute la durée de la narration sont quatre ambassadeurs du pouvoir établi, et ciblés pour former un et unique bourreau collectif: Le Duc, L’évêque, le Juge et Le président; personnalités que l’on trouve dans l’œuvre initiale de Sade, que l’ont peut sans conteste qualifier de points cardinaux du vice.


Face à ces-derniers, nous retrouverons 9 jeunes filles et 9 jeunes garçons, enlevés à leurs familles par les hommes de main de ces hauts dignitaires, que nous nommerons victimes. Se dégage des personnages -qu’ils soient dans l’un ou l’autre camp- comme une espèce de symétrie qui semble voulue par Pasolini, comme si elle renforçait le sentiment de culpabilité voyeuriste dans lequel il veut plonger le spectateur.

De plus, ils s’alloueront les services de maquerelles, stéréotypées et choisies pour leurs connaissances approfondies (si l’on peut dire) des dépravations sans noms desquelles se délectent leurs commanditaires et maîtres, telles d ‘épouvantables succubes.

Pour rendre le film encore plus atypique, le réalisateur a décidé de scinder le métrage en trois « cercles » à savoir: celui « des manies », celui « de la merde » et celui « du sang ». Cette technique lui permet, à la fois de se rapprocher de l’œuvre initiale de Sade, qui, il faut l’admettre, n’a pas du être simple a adapter, mais aussi de faire sombrer le (coupable) spectateur dans une ivresse de plus en plus terrifiante, jusqu’à l’apothéose finale dans laquelle son but avoué est atteint de façon remarquable, comme jamais auparavant dans l’histoire du cinéma (ni après à mon sens): culpabiliser le spectateur, comme s’il était complice des exactions dont il a été témoin durant un peu moins de deux heures.

Là ou d’autre œuvres du même genre, piétinent et s’enfoncent dans leur manque de profondeur, Salo s’engouffre dans la direction du chef d’œuvre intemporel. Les bourreaux apportent, de par leurs origines, une dimension immensément politique au film, leurs déviances ne donnent aucun espoir au spectateur, le faisant perdre totalement confiance en une éventuelle bonté de l’âme humaine – qui est définitivement illusoire- plus de place pour la moindre once de bienveillance. Le final cauchemardesque et plus que nihiliste est en totale adéquation avec la vision choisie…

Un point intéressant a discerner est également la bande son; les situations dans lesquelles les pauvres victimes sont plongées, l’absence absolue de compassion des bourreaux à leurs égards, sont encore accrues par l’absence de musique, rendant les cris (des uns comme des autres) encore plus effroyables. A contrario, certaines scènes sont accompagnées de musiques légères et enjouées, tranchant fortement avec leur ignoble cruauté.



Il m’a souvent été donné de lire, que Salo était un de ces films «charnière» de l’histoire du cinéma, un de ces films dont on ne peut sortir indemne, qu’on ne peut effacer de sa mémoire. C’est ce que je pense, tout comme Gaspar Noé l’explique très justement dans le documentaire «Les enfants de Salo» repris dans les bonus du DVD, il y a un «avant» et un «après» Salo.

Ce métrage s’impose donc comme un OVNI dans l’univers du cinéma, il n’a jamais et n’aura jamais d’équivalent tout comme le manuscrit dont il s’inspire.

Bien que, m’adressant à des lecteurs rompus aux pires horreurs littéraires ou cinématographiques, il me semble que personne ne peut rester insensible à la terreur que ce métrage exceptionnel peut inspirer tant par sa forme que par son fond.

L’aventure se termina, pour Pasolini, le 02 novembre 1975 sur la plage d’ Ostia ou il fût assassiné pour d’obscures raisons, avant même que son œuvre presque posthume, ne soit distribuée, et ce, comme pour terminer un hypothétique quatrième cercle…

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