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Critique : German Angst (Jörg Buttgereit, Michal Kosakowski et Andreas Marshall, 2015)


Anthologie du cinéma transgressif allemand tant attendue, « German Angst » a été présenté ce 14/04/20015 en avant première belge au Bifff, en présence des réalisateurs Andreas Marschall et Michal Kosakowski (que nous avons rencontrés pour vous, voir le lien de l’interview en bas de page), voici mon avis sur cette œuvre à contre-courant du cinéma horrifique traditionnel. Immersion totale dans une ambiance particulièrement morbide et dans une narration consistant en une voix-off glaciale pour ce huis-clos extrêmement contemplatif. Après une scène d’ouverture, assez lente voire quasi apathique, sur un fond d’informations radiophoniques alarmantes, le spectateur apprend que la jeune fille présentée qui semble vivre seule dans son appartement, a pour compagnon un cochon d’inde enfermé dans une cage, elle nous explique avec force détails la manière et les raisons de la castration de celui-ci. Rapidement, l’analogie entre la l’émasculation de l’animal et celle d’un homme ligoté au lit de la chambre toute proche peut être envisagée. Toujours harmonieux dans ses tonalités, d’un esthétisme très nuancé et d’une qualité de photographie déconcertante, cet épisode nous rappelle que Buttgereit -qui ne s’était plus retrouvé derrière la caméra depuis l’excellent Schramm en 1993-, n’a rien perdu de sa maestria, bien au contraire.


Pourtant, nombreux sont ceux qui ont trouvé ce segment un peu « inconsistant » – pensant probablement visionner une œuvre complètement hardcore -, cependant là où Buttgereit passe, la poésie macabre et viscérale dépasse toujours la violence purement gratuite, et c’est à ce niveau qu’à mon sens, ce-court métrage l’emporte haut et fort sur les deux autres. Le second segment – signé Michal Kosakowski- dresse un parallèle entre deux histoires, l’une se déroulant lors de la seconde guerre mondiale où des soldats SS s’apprêtent à perpétrer d’insoutenables crimes, et la deuxième plus contemporaine dans un immeuble abandonné de la ville de Berlin où un jeune couple de sourds-muets sera harcelé et torturé par un groupe de néonazis fort peu sympathiques. Le point commun entre les deux étant la question « que ferais-tu si tu te retrouvais à ma place, en semblables circonstances? » Soyons clair, cet épisode sera le plus éprouvant psychologiquement pour les spectateurs les plus sensibles. Il est ignoble et glacial; mais il est également celui qui pousse le plus à la réflexion car il ne sombre jamais dans la facilité qui eût été de simplifier la narration entre les deux axiomes (celui du bien pour le jeune couple, et celui du mal pour les nazis). De plus, après en avoir discuté assez longuement avec le réalisateur, Michal Kosakowski, en obtenant certaines précisions je dois bien avouer que je vois le film d’un autre oeil, raison pour laquelle je vous conseille chaudement de lire l’interview dont je posterai le lien en fin d’article. Ce qui est également hautement choquant dans cette épisode, est le fait que les victimes ne peuvent parler, se plaindre, voire même crier en raison de leur infirmité; de cette manière Kosakowski renforce de facto la situation des souffre-douleur pour ensuite mieux amplifier l’inversion des rôles, ce qui accroît l’intérêt de la structure narrative du segment.

Ajoutons à ce qui a été dit plus-haut un excellent casting, des transitions soignées entre les deux histoires parallèles, une photographie impeccable et éminemment maîtrisée, vous obtiendrez un métrage parfaitement bien ficelé qui ajoute une intensité dramatique et cohérente à l’ensemble de « German Angst ».


Nous arrivons déjà au dernier segment, celui d’Andreas Marshall, « Mandragore », dont le pitch se résume comme suit: Eden, un homme d’âge mûr (campé par Milton Welsh) est hanté par les prouesses d’une prostituée membre d’une société secrète de laquelle il désire devenir membre à ses propres dépends. Graphiquement, et auditivement parlant, la partie du réalisateur de « Tears of Kali » est la plus aboutie avec ses allures de court-métrage expérimental où les sensations du spectateur semblent passer sans transition du rêve à l’éveil, se traduisant par exemple par de magnifiques digressions sur le thème de la sexualité et de la soumission. Cependant le scénario est le plus conventionnel des trois segments, et de ce fait également le plus accessible, or il me semble que l’ordre de diffusion eût été plus judicieux en commençant German Angst par l’épisode de Marschall, pour terminer avec celui de Buttgereit, ce qui aurait (à mon sens encore une fois) donné un rendu encore plus cohérent à son ensemble. Néanmoins, ce dernier est très travaillé, et amorce malgré tout une jolie perspective de « descente » pour un spectateur dont les sentiments vitupérables auront été exacerbés pendant près de deux heures.


Notons également de nombreuses corrélations entre les trois segments, qui sont la preuve que les trois réalisateurs ont travaillé ensembles et non de manière indépendante pour nous livrer une œuvre homogène, parfois un peu trop réservée à mon goût mais qui reste une très bonne découverte au final.

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